
Le football tunisien traverse une crise déontologique majeure. Des pratiques jusqu'ici tolérées constituent en réalité des violations directes et caractérisées du Code d'Éthique de la FIFA et des règlements internationaux sur la multipropriété. La situation où un président de club sponsorise, via son entreprise, d'autres équipes de la même ligue n'est pas un simple dilemme éthique mais une infraction grave aux articles 19 et 20 du Code d'Éthique FIFA et à l'article 10 du Règlement de la Coupe du Monde des Clubs 2025.
Dans un contexte où la FIFA applique désormais une tolérance zéro sur ces questions. Le football tunisien est à un tournant critique qui exige d’agir en urgence ou subir des sanctions internationales dévastatrices.
Ce document constitue un dossier d'accusation et un guide d'action juridique pour saisir les instances compétentes (FIFA, CAF, FTF) et mettre fin à ces pratiques qui compromettent l'intégrité du championnat tunisien.
I. LE CADRE JURIDIQUE INTERNATIONAL : DES VIOLATIONS AVÉRÉES
1.1. Le Code d'Éthique de la FIFA : Article 19 - Conflits d'Intérêts
Le Code d'Éthique de la FIFA, édition 2012 (toujours en vigueur), établit des règles strictes en matière de conflits d'intérêts. L'article 19 est sans équivoque :
Article 19.2 - Définition du conflit d'intérêts
"Les personnes auxquelles s'applique le présent code doivent éviter toute situation pouvant donner lieu à un conflit d'intérêts. Il y a conflit d'intérêts lorsque les personnes auxquelles s'applique le présent code ont ou semblent avoir des intérêts privés ou personnels susceptibles de les empêcher d'accomplir leurs obligations avec intégrité, indépendance et détermination. Par intérêt privé ou personnel, on entend notamment le fait que les personnes auxquelles s'applique le présent code retire un avantage pour elles- mêmes, leur famille, leurs parents, leurs amis ou leurs relations."
Article 19.3 - Interdiction d'accomplir des tâches
"Les personnes auxquelles s'applique le présent code ne peuvent pas accomplir leurs tâches si elles sont en situation potentielle ou avérée de conflit d'intérêts. Dans un tel cas, le conflit d'intérêts doit être immédiatement révélé et notifié à l'organisation à laquelle la personne à laquelle s'applique le présent code appartient."
Application au cas tunisien
Un président de club qui, par le biais de son entreprise, sponsorise d'autres clubs de Ligue 1 se trouve en situation de conflit d'intérêts avéré car :
1- Il a des intérêts privés ou personnels (promotion de sa marque commerciale, retour sur investissement publicitaire) qui sont distincts de son devoir de président de club.
2- Ces intérêts sont susceptibles de l'empêcher d'accomplir ses obligations avec intégrité, indépendance et détermination envers son propre club, car il finance simultanément ses concurrents directs.
3- Il retire un avantage pour lui-même (visibilité commerciale, influence sur le championnat, création d'un réseau de clubs dépendants).
4- Cette situation n'a pas été révélée et notifiée aux instances compétentes (FTF, FIFA), ce qui constitue une violation supplémentaire de l'article 19.3.
1.2. Le Code d'Éthique de la FIFA : Article 20 - Acceptation et Distribution d'Avantages
L'article 20 complète le dispositif en encadrant strictement l'acceptation et la distribution de cadeaux et avantages :
Article 20.1 - Critères cumulatifs obligatoires
"Les personnes auxquelles s'applique le présent code ne peuvent ni accepter ni offrir de cadeaux et autres bénéfices de/à des tiers au sein de la FIFA ou à l'extérieur de celle-ci [...] que :
a) s'ils ont une valeur symbolique ou insignifiante ;
b) si est exclue toute influence sur l'exécution ou l'omission d'un acte se rapportant à leurs activités officielles ou relevant de sa discrétion ;
c) s'ils ne sont pas contraires à leurs devoirs ;
d) s'ils ne constituent aucun avantage indu, de nature pécuniaire ou autre ; et
e) s'ils ne créent aucun conflit d'intérêts.
Tout cadeau ou avantage ne répondant pas à la totalité des critères susmentionnés est interdit."
Application au cas tunisien
Le sponsoring d'un club par l'entreprise du président d'un club concurrent constitue un avantage indu interdit car il ne remplit aucun des critères cumulatifs :
| Critère | Respect | Analyse |
| Valeur symbolique ou insignifiante | X | Les contrats de sponsoring portent sur des montants substantiels (maillots, équipements, primes), représentant parfois 20-30% du budget d'un club. |
| Exclusion de toute influence | X | Le club sponsorisé devient économiquement dépendant du sponsor, ce qui crée mécaniquement une influence sur ses décisions (transferts, votes en AG, positions sur le calendrier). |
| Non-contraire aux devoirs | X | Le devoir d'un président de club est de défendre exclusivement les intérêts de son club. Financer des concurrents est contraire à ce devoir fondamental. |
| Absence d'avantage indu | X | Le sponsor obtient un avantage indu : visibilité commerciale, influence sur plusieurs clubs, capacité à orienter les résultats sportifs. |
| Absence de conflit d'intérêts | X | Violation directe de l'article 19 (voir ci-dessus). |
Conclusion juridique : Le sponsoring croisé est formellement interdit par l'article 20 du Code d'Éthique FIFA.
1.3. Le Règlement de la Coupe du Monde des Clubs 2025 : Article 10 - Multipropriété
L'article 10 du Règlement de la Coupe du Monde des Clubs FIFA 2025 (octobre 2024) établit des critères stricts pour garantir l'intégrité de la compétition. Cet article est particulièrement pertinent car il va au-delà de la propriété formelle pour cibler la notion d'influence décisive.
Article 10.1.c - Définition du contrôle ou de l'influence
"Aucune personne physique ou morale ne peut avoir le contrôle ou exercer une influence sur plus d'un club participant à la compétition, ce contrôle ou cette influence étant défini(e) dans ce contexte comme :
i) détenir la majorité des droits de vote des actionnaires ;
ii) avoir le droit de nommer ou de révoquer la majorité des membres de l'organe administratif, de gestion ou de surveillance du club ;
iii) être actionnaire et contrôler seul(e) la majorité des droits de vote des actionnaires en vertu d'un accord conclu avec d'autres actionnaires du club ; ou
iv) être en mesure d'exercer par tout moyen une influence décisive dans la prise de décision du club."
Le concept de "multipropriété de facto"
Le point iv) est fondamental : il n'est pas nécessaire de posséder des parts d'un club pour être considéré comme exerçant un contrôle ou une influence. Le sponsoring massif constitue précisément un "moyen d'exercer une influence décisive" car :
5- Dépendance économique : Un club qui reçoit 20-30% de son budget d'un sponsor unique devient structurellement dépendant de ce financement. Il ne peut pas se permettre de perdre ce sponsor sans mettre en péril sa stabilité financière.
6- Pouvoir de négociation asymétrique : Le sponsor peut conditionner le renouvellement de son contrat à des décisions favorables (transferts de joueurs entre clubs sponsorisés, votes en assemblée générale, positions sur des réformes du championnat).
7- Influence sur la performance sportive : Le sponsor peut favoriser certains clubs en augmentant leur budget ou en facilitant des transferts "de complaisance" entre clubs sous son influence.
8- Contrôle indirect de la gouvernance : Le sponsor peut exiger la nomination de personnes de confiance au sein des organes dirigeants du club sponsorisé.
Cette situation constitue une multipropriété de facto, interdite par l'article 10.1.c.iv du Règlement FIFA.
1.4. Le Règlement UEFA Champions League : Article 5 - Intégrité de la Compétition
L'UEFA applique des règles similaires dans son Règlement de la Champions League 2025. L'article 5 pose le principe suivant :
Article 5 - Intégrité de la compétition/multipropriété de clubs
"Pour garantir l'intégrité de la compétition, les clubs participants doivent être en mesure de prouver qu'ils remplissent les critères ci-dessous et continuer à les respecter pendant toute la durée de la compétition :
Aucune personne physique ou morale ne peut avoir le contrôle de ou exercer une influence sur plus d'un club participant aux compétitions interclubs de l'UEFA, ce contrôle ou cette influence étant défini(e) comme suit :
* détenir la majorité des droits de vote des actionnaires ;
* avoir le droit de nommer ou de révoquer la majorité des membres de l'organe administratif, de gestion ou de surveillance du club ;
* être actionnaire et contrôler seul(e) la majorité des droits de vote des actionnaires en vertu d'un accord conclu avec d'autres actionnaires du club ;
* être en mesure d'exercer par tout moyen une influence décisive dans la prise de décision du club."
Conséquences pour le football tunisien
Si deux clubs tunisiens sous influence commune (via le sponsoring) se qualifient pour une compétition CAF (Ligue des Champions ou Coupe de la Confédération), la CAF, qui applique des règlements inspirés de ceux de la FIFA et de l'UEFA, pourrait :
9- Exiger des preuves d'indépendance (contrats, bilans financiers, organigrammes).
10- Exclure l'un des deux clubs si l'indépendance n'est pas démontrée.
11- Sanctionner la FTF pour manquement à ses obligations de contrôle.
II. LE PRÉCÉDENT DU CLUB LEON : UNE JURISPRUDENCE FONDATRICE
2.1. Les Faits
Le 21 mars 2025, la FIFA a annoncé l'exclusion du Club Leon (Mexique) de la Coupe du Monde des Clubs 2025. La raison : le Club Leon et le CF Pachuca appartiennent tous deux au Grupo Pachuca, ce qui constitue une violation de l'article 10 du Règlement de la Coupe du Monde des Clubs.
Communiqué de la FIFA (21 mars 2025)
"Après avoir évalué toutes les preuves au dossier, le président de la Commission d'Appel de la FIFA a décidé que le CF Pachuca et le Club León ne répondaient pas aux critères de propriété multi-clubs définis à l'article 10 paragraphe 1 du Règlement de la Coupe du Monde des Clubs de la FIFA 2025. En vertu de l'article 10, alinéa 4 dudit règlement, la FIFA a décidé que le Club León ne serait pas admis à participer à la compétition."
2.2. Enseignements pour le Football Tunisien
Cette décision est fondamentale pour trois raisons :
12- Application stricte des règlements : La FIFA n'a pas fait preuve de clémence malgré la qualification sportive légitime du Club Leon. Le respect des critères d'intégrité prime sur les performances sportives.
13- Sanction maximale : L'exclusion pure et simple, sans avertissement ni période de mise en conformité, démontre la gravité accordée à ces violations.
14- Précédent jurisprudentiel : Cette décision crée un précédent qui sera appliqué à tous les championnats nationaux et toutes les compétitions internationales. Le football tunisien est désormais prévenu.
2.3. Risques Immédiats pour les Clubs Tunisiens
Si la situation actuelle perdure, les clubs tunisiens s'exposent à :
15- Exclusion des compétitions CAF : Si deux clubs sous influence commune se qualifient pour la Ligue des Champions CAF ou la Coupe de la Confédération, l'un des deux sera exclu.
16- Sanctions financières : Amendes pouvant atteindre plusieurs centaines de milliers de dinars.
17- Interdiction de participer à la Coupe du Monde des Clubs FIFA : Si un club tunisien se qualifie pour cette compétition (via la Ligue des Champions CAF), il pourrait être exclu comme le Club Leon.
18- Atteinte à la réputation : Le football tunisien serait stigmatisé au niveau
III. ANALYSE DÉTAILLÉE DES VIOLATIONS DANS LE CONTEXTE TUNISIEN
3.1. Le Cas Type : Un Président-Sponsor
La situation la plus problématique est celle d'un président de club qui, simultanément :
19- Préside un club de Ligue 1 (par exemple, l’Espérance Sportive de Tunis).
20- Possède ou dirige une entreprise (par exemple, une marque de télécommunications ou de produits de consommation).
21- Sponsorise d'autres clubs de Ligue 1 via cette entreprise (maillots, équipements, primes de match).
22- Sponsorise des émissions sportives diffusées à la télévision, à la radio ou dans la presse écrite.
3.2. Les Violations Caractérisées
Violation n°1 : Conflit d'Intérêts Avéré (Article 19 Code d'Éthique FIFA)
Analyse juridique :
Un président de club a pour unique devoir de défendre les intérêts de son institution. En sponsorisant d'autres clubs, il se place volontairement dans une situation où :
* Ses intérêts personnels (promotion de sa marque, retour sur investissement publicitaire) entrent en collision avec ses intérêts de dirigeant sportif (victoire de son club).
* Il ne peut plus agir avec "intégrité, indépendance et détermination" car il a un intérêt économique à ce que les clubs qu'il sponsorise obtiennent également de bons résultats (pour justifier son investissement publicitaire).
* Il crée une perception de favoritisme, même si aucune malversation n'est avérée, ce qui nuit à la crédibilité du championnat.
Exemple concret :
Imaginons que le club A (présidé par M. X) affronte le club B (sponsorisé par l'entreprise de M. X) en finale de la Coupe de Tunisie. M. X se trouve dans une situation intenable :
* S'il favorise son club A, il trahit son investissement dans le club B.
* S'il favorise le club B (par exemple en facilitant un transfert stratégique avant la finale), il trahit son devoir de président du club A.
* Quelle que soit l'issue, la légitimité du résultat sera contestée.
Conclusion : Cette situation constitue un conflit d'intérêts avéré au sens de l'article 19.2 du Code d'Éthique FIFA.
Violation n°2 : Avantage indu et influence (Article 20 Code d'Éthique FIFA)
Analyse juridique :
Le sponsoring n'est pas un acte de mécénat désintéressé. Il crée une relation de dépendance économique entre le sponsor et le club sponsorisé. Cette dépendance se traduit par :
23- Influence sur les décisions de transfert : Un club sponsorisé peut être incité à accepter des joueurs "recommandés" par le sponsor, ou à céder des joueurs à des clubs sous influence commune.
24- Influence sur les votes en assemblée générale : Lors des assemblées générales de la Ligue ou de la FTF, les clubs sponsorisés peuvent être incités à voter conformément aux intérêts du sponsor.
25- Influence sur les positions publiques : Un club sponsorisé peut être dissuadé de critiquer publiquement le sponsor ou les clubs sous son influence, même en cas de décisions contestables.
26- Influence sur la performance sportive : Le sponsor peut moduler son soutien financier en fonction des résultats, créant une incitation à "gérer" certains matchs.
Exemple concret :
Si le club B (sponsorisé par l'entreprise de M. X, président du club A) a besoin d'un attaquant, et que le club A possède un attaquant en fin de contrat, le club B peut obtenir ce joueur dans des conditions avantageuses (transfert gratuit, prêt sans option d'achat) grâce à l'influence de M. X. Ce transfert, même s'il est formellement légal, constitue un avantage indu car il résulte de l'influence du sponsor et non d'une négociation équitable.
Conclusion : Le sponsoring croisé constitue un avantage indu au sens de l'article 20.1 du Code d'Éthique FIFA.
Violation n°3 : Multipropriété de facto (Article 10 Règlement FIFA CWC)
Analyse juridique :
Même sans détention formelle d'actions, un président-sponsor exerce une "influence décisive dans la prise de décision" des clubs qu'il sponsorise. Cette influence se manifeste par :
27- Pouvoir de vie ou de mort économique : Le sponsor peut mettre fin au contrat de sponsoring à tout moment, ce qui peut entraîner des difficultés financières majeures pour le club sponsorisé.
28- Capacité à imposer des décisions : Le sponsor peut conditionner le renouvellement de son contrat à des décisions favorables (changement d'entraîneur, recrutement de joueurs, votes en AG).
29- Création d'un réseau de clubs dépendants : En sponsorisant plusieurs clubs, le sponsor crée un réseau d'influence qui peut orienter les résultats du championnat.
Exemple concret :
Si M. X sponsorise les clubs B, C et D, et que son club A est en concurrence avec le club E (non sponsorisé) pour le titre, M. X peut :
* Augmenter le budget des clubs B, C et D pour qu'ils recrutent de meilleurs joueurs et prennent des points au club E.
* Faciliter des transferts de joueurs entre les clubs B, C et D pour renforcer ceux qui affrontent le club E.
* Influencer les votes en AG pour obtenir un calendrier favorable au club A.
Conclusion : Cette situation constitue une multipropriété de facto, interdite par l'article 10.1.c.iv du Règlement FIFA.
3.3. Le Sponsoring d'émissions sportives : Une aggravation
Le sponsoring d'émissions sportives par l'entreprise du président d'un club constitue une aggravation des violations précédentes car :
30- Influence sur le traitement médiatique : Les émissions sponsorisées peuvent être incitées à adopter une ligne éditoriale favorable au sponsor et aux clubs sous son influence.
31- Pression sur les journalistes : Les journalistes peuvent s'autocensurer pour ne pas perdre le sponsor.
32- Manipulation de l'opinion publique : Le sponsor peut utiliser les émissions pour orienter l'opinion publique en faveur de ses intérêts.
Conclusion : Le sponsoring d'émissions sportives constitue une violation aggravée des articles 19 et 20 du Code d'Éthique FIFA.
IV. CONCLUSION : L'HEURE DE L'ACTION A SONNÉ
Le football tunisien est à un tournant critique. Les pratiques de sponsoring croisé et de conflits d'intérêts, jusqu'ici tolérées, constituent des violations graves et caractérisées du Code d'Éthique de la FIFA et des règlements internationaux. L'exclusion du Club Leon en mars 2025 a envoyé un signal clair : la FIFA applique désormais une tolérance zéro sur ces questions.
Dans ce cas de violations, les risques sont énormes pour le football tunisien :
* Exclusion des clubs tunisiens des compétitions CAF et FIFA
* Sanctions financières lourdes
* Atteinte à la réputation du football tunisien
* Perte de confiance des supporters et des sponsors légitimes