Faten Ghattas, légende de la natation

Au début des années 1980, il est au sein du Club Africain une section qui règne sans partage sur sa discipline dans tout le pays, celle de la natation (bientôt rejointe par celle du volleyball). Et si les champions sont légion parmi les nageurs, emmenés par Samir et Imed Bouchlaghem, Lotfi Labrag ou Souad Debbiche, il est un nom qui éclipse tous les autres : Faten Ghattas.

Deux années de suite, elle annihile toute compétition en réussissant le grand-chelem, raflant la totalité des 12 titres en jeu aux championnats de Tunisie 1981 et 1982. C’est elle et nulle autre qui est élue « sportif tunisien de l’année » 1982, devançant assez nettement notre grand maître international d’échecs Slim Bouaziz, son dauphin, tandis que Hedi Bayari et Fahima Ben Cherifa sont également au tableau d’honneur.

Si elle a alors à peine 18 ans, sa domination en bassin dure depuis quelques années déjà, son premier succès remontant à 1969 (elle saura nager quasiment en même temps que marcher) et ses premiers titres de championne de Tunisie à 1979 (aux 200 et 400 mètres nage libre).

On ne peut imaginer plus « pur » produit clubiste. Un premier contact un rien brutal à moins de 4 ans (elle est précipitée à l’eau par un maître meilleur nageur que pédagogue) est rattrapé et radouci par son premier coach, Mohamed Bounatouf. Puis, c’est le revenant « Am » Fradj Ben Saâd, revenu de La Goulette au CA en compagnie de Ali Gharbi, qui la forme aux quatre nages.

Saïd Ouenzerfi l’amène alors à son « explosion », d’abord aux championnats de Tunisie de 1980 où elle glane dix titres (sur douze), puis au championnat maghrébin de 1981. Non contente de remporter neuf médailles d’or (plus une d’argent), elle se force à concourir en « papillon » et… y signe sur 100 mètres son premier record d’Afrique, le seul qui n’était pas encore tunisien. Et cela à Alger même et face à Zaza Affane, détentrice du précédent et reine des Jeux de 1978.

Son succès ne se démentira jamais, fruit d’une volonté d’airain qui la pousse à se dépasser, et d’un encadrement propice qui lui fait dépasser les obstacles. La famille de l’ondine réside à proximité de la piscine olympique où son père, Kamel Ghattas, l’amène quotidiennement nager ses 12 à 14 kilomètres d’entraînement.

Si Kamel, qui double son rôle de père par celui de dirigeant au Club Africain (et d’homme de plume) lui conseille la polyvalence : « une nage en prépare une autre ». C’est une chance mutuelle, pour elle et notre section natation, qu’elle soit au CA. La bonne structure de l’association en général et celle de la section aquatique en particulier compense les carences de la fédération (un seul coach pour l’équipe nationale, par exemple, certains records non-homologués pour cause de chronomètre défaillant lors des critériums d’été) et la désorganisation tragique de la confédération africaine.

Ainsi, entre annulations, reports, luttes d’influence, Faten alignera sa litanie de records en ne nageant qu’avec des compétiteurs locaux ou quasiment. Au cours de sa carrière, elle ne pourra disputer qu’une seule édition des Jeux Panarabes (en 1985), une seule des Jeux Africains (en 1987) et…aucun championnat d’Afrique, une unique édition ayant lieu au Caire en 1982 en l’espace de treize ans, et à laquelle la Tunisie ne participera pas.

Cette édition aurait-elle pu lui échapper ? A elle qui lors des championnats d’été de juillet 1982 sauve le criterium de l’anonymat, pulvérisant le plus ancien record d’Afrique (de Myriam Mizouni en 1977) sur 200 mètres nage libre, puis enchaînant deux records continentaux de suite au 100 mètres papillon, un le matin lors des séries, l’autre l’après-midi en finale ? Et ce, quelques minutes à peine après son succès en nage libre, sans même avoir eu le temps de récupération réglementaire ?

Elle est à la natation tunisienne ce que Zatopek fut à la course, fêtée par le Club avec tous ses coéquipiers à l’hôtel Sidi-Dhrif lors du titre estival. Et fête somptueusement et de la plus belle des manières son titre de sportif de l’année en crevant pour le première fois le mur de la minute du 100 mètres nage libre le 5 janvier 1983.

Bien qu’elle prépare son baccalauréat pour juin 1983 et regrette l’absence de lycée sportif, qui la prive de tout avantage pour mener de front études et carrière sportive, l’ondine clubiste va poursuivre son écrasante domination sur le bassin tunisien (tout en devenant bachelière). Seule sa coéquipière Amel Bellagha parvient à lui ravir le titre du 200 mètres dos (Faten terminant deuxième) lors du critérium d’hiver. Pour le reste, rien ne lui résiste.

Après s’être préparée avec succès à Bordeaux et à Chiasso pour les championnats d’été de 1983, elle y réussit une performance sur 200m nage libre : pulvérisant une fois de plus le record d’Afrique, elle termine avec 11 secondes d’avance sur sa seconde, Senda Gharbi, et serait même classée 3ème chez les messieurs vu son temps ! Inutile de préciser que le CA (qui ajoute la jeune Rym Kamoun à sa légion marine) l’emporte haut la main une fois de plus.

Après les universiades d’Edmonton au Canada, elle ajoute encore quelques records d’Afrique aux Jeux Méditerranéens de Casablanca. Mais l’on atteint malheureusement là le « plafond de verre » de la natation tunisienne de l’époque. Toute tournée alors (et c’est à son honneur) vers des idéaux olympiens de participation et d’encadrement de sa jeunesse, la Tunisie ne cherche pas la culture de la performance ou du champion, mais bien l’épanouissement par le sport.

La domination du CA se fait d’ailleurs grâce à la formation polyvalente, et non en « brûlant » les nageurs en les spécialisant trop -ce qui crée trop de renoncements et de découragements chez les jeunes nageurs. Enfin, les maigres moyens de la tutelle créent un manque, puisque la FTN préfère fonctionner « meeting par meeting », obligeant les nageurs à plier bagage une fois trouvé le bon rythme, alors que notre ondine préconiserait un fonctionnement « en circuit » de plusieurs meetings.

Faten elle-même est consciente de son niveau, et déclare préférer « participer à un championnat pour nager dans toutes les courses et remporter à chacune un prix pour hisser le nom de [son] pays que de [se] préparer pendant quatre ou cinq ans pour participer à une seule course dans une joute mondiale ». Elle préfère par ailleurs ses études au sport, car « la natation n’a qu’un temps », et qu’il faut préparer « l’après ».

En attendant, Samir Bouchlaghem et elle, digne relève de Ali Gharbi et de Mariem Mizouni ou Saloua Obba, continuent à mener un Club Africain boulimique de titres. Le CA est de nouveau champion en 1984, année qui la voit participer aux Jeux Olympiques de Los Angeles. Là aussi, c’est une participation pluridisciplinaire honorable (23ème sur 200 mètres 4 nages notamment) et des records d’Afrique en pagaille. En cette année 1984, elle en bat 10 sur 12 possibles et réussit les 12 meilleures performances africaines de l’année.

Cette domination écrasante se poursuit au critérium d’hiver, en mars 1985 : les clubistes-filles ne laissent personne sur le podium, tandis que malgré l’accident de Samir Bouchlaghem, seules deux secondes places échappent au Club chez les garçons. Les critériums d’été 1985 (… au cours desquels pas une médaille n’est prévue par la FTN pour les vainqueurs) sont dominés de façon à peine moins outrancière.

Souvent, la natation a sauvé les participations tunisiennes aux Jeux. Faten le sait, comme elle sait qu’elle est la figure de proue de la discipline, et elle exprime son esprit d’équipe en plaidant pour la réintégration de Samir Bouchlaghem en équipe nationale.

Son niveau est tel qu’après un nouveau titre de sportive de l’année 1985 puis une quasi-année sabbatique en 1986 (tout de même marquée par une participation championnats du monde), elle revient le 16 janvier 1987 et écrase le championnat national d’hiver dans la foulée, alignant 4 meilleures performances de l’année. Pulvérisant le record d’Afrique du 200m 4 nages à peine après avoir repris l’entraînement fin juin 1987 (car l’université a priorité sur la piscine), seule une compétition assistée médicalement sera en mesure de la concurrencer en Tunisie.

Sa passion est telle qu’après avoir annoncé sa retraite après les Jeux Africains de Nairobi et une nouvelle moisson de médailles (9 d’or, dont 3 en équipe, et 6 records d’Afrique encore valides (400/800 NL, 200/400 4 nages, 100/200 papillon), elle devra effectuer la fin de sa carrière de nageuse en plusieurs étapes.

D’une part, sa supériorité est telle qu’elle revient toujours sur la plus haute marche du podium et d’autre part, il est difficile de se sevrer d’une telle passion que la sienne pour la natation. « A une époque, je faisais un détour en sortant de chez moi pour ne pas passer devant la piscine, c’était dur pour une mordue de natation comme moi de m’en passer », dira-t-elle.

Sa carrière professionnelle la maintient proche du bassin, puisque sa thèse de doctorat porte sur le plongeon au départ de course, et qu’elle exerce comme professeur-chercheur à l’Institut Supérieur du Sport et de l’Education Physique. Tout en transmettant son savoir comme directeur technique et entraîneur de natation au sein du Club Africain.

Quasiment trente ans après sa retraite, elle se distinguera de nouveau le 13 août 2018 en nageant à l’occasion de la fête de la femme de Sfax à Kerkennah, soit environ 21 kilomètres. « Au début, j’ai fait de la piscine juste pour apprendre à nager. Ensuite, j’ai commencé à vouloir défier le chronomètre et petit à petit j’en suis venue à vouloir battre des records et remporter des titres ».

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